Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
L’entreprise, un univers où l’égalité a-t-elle sa place ?
Les privilèges ont encore la vie dure dans les entreprises.
L’évolution professionnelle et salariale n’est pas linéaire et ne tient souvent pas uniquement aux qualités professionnelles des salariés.
L’aspect politique et la courtisanerie, notamment, ne sont pas complétement étrangers aux promotions ou aux avantages salariaux qui sont accordés.
Entre deux salariés dotés des mêmes compétences et d’un même niveau de formation, il n’est ainsi pas rare que l’un ait une évolution plus rapide que l’autre, au grand damne de celui qui est lésé.
Le Code du travail a pourtant posé des limites à l’arbitraire de l’employeur, en énonçant clairement (article L 3221-2) :
Tout employeur assure, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes.
Cette affirmation est la transcription légale du principe « à travail égal, salaire égal ».
Rappel sur la règle « à travail égal salaire égal »
Elle met à la charge de l’employeur l’obligation d’assurer entre salariés exerçant un même travail une égalité de rémunération.
Constitue à cet égard une rémunération, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum et tous les autres avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au salarié, en raison de l’emploi de ce dernier (article L 3221-3 du Code du travail).
C’est ainsi, par exemple, qu’un salarié se plaignant d’une moindre progression salariale par comparaison à ses collègues exerçant le même emploi que lui, a pu être reconnu victime d’une inégalité de traitement et d’une discrimination salariale.
Il avait produit, pour en justifier, son entretien annuel d’évaluation contenant des appréciations positives sur la qualité de son travail, étant précisé qu’aucune autre évaluation n’était intervenue postérieurement (Cass. Soc. 20 fév. 2008 n° 06-40085).
Mais, comme le démontre une nouvelle décision de la Cour de cassation, les causes de l’inégalité de traitement entre salariés tiennent aussi parfois à un lien de proximité avec le chef d’entreprise.
L’appartenance du salarié à la famille de son employeur, cause d’inégalité de traitement
Une salariée avait été embauchée par un député en qualité de collaboratrice parlementaire et exerçait ses fonctions au sein de sa permanence parlementaire.
A l’achèvement de son mandat, après une défaite aux élections législatives, l’employeur l’avait licenciée le 30 juin 2017, son poste étant supprimé.
Celle-ci avait alors saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes relatives à des compléments de salaire et au paiement d’indemnités.
Elle considérait en effet avoir subi une inégalité de traitement constitutive d’une discrimination en raison de son défaut d’appartenance à la famille de son employeur.
Elle avait constaté une différence de traitement, et de salaire, par comparaison avec une autre salariée exerçant, comme elle, les fonctions de collaboratrice parlementaire.
Cette salariée, qui bénéficiait d’une rémunération d’un montant supérieur, jouissait d’une position manifestement plus favorable dans le cœur de son employeur, puisqu’elle était son épouse…
Une discrimination fondée sur la situation de famille
La demanderesse à l’action se prévalait d’une disposition du Code du travail posant un principe de non-discrimination (article L 1132-1).
Celui-ci énonce en particulier qu’aucune personne ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire, notamment en matière de rémunération, en raison de « sa situation de famille ».
La jurisprudence sur ce point est assez chiche, et toutes les audaces sont donc permises.
L’employeur soutenait ainsi que le texte applicable visait la seule situation de famille de la salariée qui invoque la discrimination, et non celle de l’employeur.
La Cour d’appel avait rejeté l’argument, estimant que la formulation employée « pouvait se définir par des critères propres à la personne discriminée, mais aussi par comparaison à d’autres situations de famille prises en compte au détriment de la personne discriminée ».
Elle avait également écarté l’autre argument développé par l’employeur, selon lequel la différence de traitement se justifierait par « le caractère plus politique des fonctions de son épouse », et l’exigence « d’une disponibilité et une confidentialité totales ».
En clair, il prétendait justifier la différence de traitement par l’appartenance à un critère familial.
La solution de la Cour de cassation
La Haute juridiction n’approuve pas cette justification.
Elle affirme, s’inspirant du droit communautaire :
Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte… notamment en matière de rémunération, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de sa situation de famille.
Elle souligne en outre que le défaut d’appartenance du salarié à la famille de son employeur, en ce qu’il constitue le motif d’un traitement moins favorable, est soumis au principe de non-discrimination.
Le motif de discrimination prohibé tenant à la situation de famille était applicable en l’espèce, dès lors que l’employeur entendait justifier la différence de traitement en matière de rémunération entre la salariée et son épouse salariée, à laquelle elle se comparait (Cass. Soc. 9 avril 2025 n° 23-14016).
L’action de l’intéressée, réclamant diverses sommes à titre de rappel de salaire et d’indemnités, était donc fondée, la discrimination étant établie.