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La lettre de licenciement pour motif économique

Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Une cause économique précise qui doit répondre aux exigences légales

La Chambre sociale de la Cour de cassation serait-elle perméable à l’environnement ambiant, et sous l’influence de la loi El Khomri, qui contient une profonde modification de la définition du licenciement pour motif économique, assouplirait-elle ses exigences relatives au formalisme applicable à la lettre de licenciement ?

C’est la question que l’on est en droit de se poser à la lecture d’un arrêt rendu le 3 mai dernier (Cass. Soc. 3 mai 2016 n° 15-11046).

Rappelons que l’article L 1233-3 du Code du travail donne une définition précise du licenciement pour motif économique, largement réécrite au gré des législatures de ces dix dernières années.

Le licenciement pour motif économique procède tout d’abord d’une cause économique, et n’est pas inhérent à la personne du salarié.

Historiquement, la jurisprudence a ajouté aux difficultés économiques et aux mutations technologiques, une cause économique supplémentaire.

La réorganisation de l’entreprise, pour autant qu’elle soit « nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité », peut également constituer un motif économique de licenciement (Cass. Soc. 26 mars 2002 n° 00-40898).

On se souvient en outre que lorsque l’entreprise appartient à un groupe, les difficultés économiques ou la réorganisation s’apprécient au niveau du secteur d’activité du groupe auquel appartient l’entreprise concernée.

Ce secteur d’activité s’entendait initialement de façon assez large, car il a été jugé que la spécialisation d’une entreprise dans le groupe ou son implantation dans un pays différent de ceux où sont situées les autres sociétés du groupe ne suffit pas à exclure son rattachement à un même secteur d’activité, au sein duquel doivent être appréciées les difficultés économiques (Cass. Soc . 23 juin 2009 n° 07-45668).

La loi en a là aussi désormais donné une définition :

Le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.

Le contenu de la lettre de licenciement pour motif économique

Le droit du travail étant une matière formelle, le Code du travail prévoit, de surcroit, que la lettre de licenciement comporte l’énoncé des motifs économiques invoqués par l’employeur (article L 1233-16).

Cette exigence revêt un caractère d’autant plus impérieux que, dans le cadre du contentieux prud’homal relatif au licenciement, c’est la lettre de licenciement qui fixe le litige, de sorte que seuls les motifs énoncés dans cette correspondance doivent être retenus et débattus.La lettre de licenciement pour motif économique doit comporter une cause économique de licenciement

A cet égard, il a été jugé qu’une lettre de licenciement qui ne faisait état que d’une baisse d’activité, sans autre précision, ne satisfaisait pas aux obligations légales (Cass. Soc. 16 fév. 2011 n° 09-72172).

La même solution a été retenue à propos d’une lettre de rupture portant la simple mention de « nécessités organisationnelles » (Cass. Soc. 16 mai 2013 n° 11-28494).

Les conséquences sur l’emploi du salarié

La validité de la lettre de licenciement est subordonnée non seulement à l’existence d’une cause économique de licenciement, mais elle doit aussi préciser ses conséquences sur l’emploi du salarié (suppression de poste, modification du contrat de travail, ou transformation d’emploi).

La lettre de licenciement qui fait état de difficultés économiques, d’une mutation technologique ou d’une réorganisation, et qui indique que cette situation entraîne une suppression d’emploi, une transformation d’emploi ou une modification du contrat de travail est considérée comme suffisamment motivée (Cass. Soc. 27 mars 2012 n° 11-14223).

Pourtant, de façon assez surprenante, la Cour de cassation semble désormais relâcher son étreinte, dès lors qu’elle énonce dans l’arrêt du 3 mai 2016 que :

«  la lettre de licenciement qui mentionne que le licenciement a pour motifs économiques la suppression de l’emploi du salarié consécutive à la réorganisation de l’entreprise justifiée par des difficultés économiques et (ou) la nécessité de la sauvegarde de sa compétitivité répond aux exigences légales, sans qu’il soit nécessaire qu’elle précise le niveau d’appréciation de la cause économique quand l’entreprise appartient à un groupe ; et que c’est seulement en cas de litige qu’il appartient à l’employeur de démontrer, dans le périmètre pertinent, la réalité et le sérieux du motif invoqué ».

Une appréciation de l’existence du motif invoqué très favorable à l’employeur

Dans cette affaire, un salarié licencié pour motif économique reprochait à son employeur, dont l’entreprise appartenait à un groupe, de lui avoir envoyé une lettre de licenciement qui faisait exclusivement état des difficultés économiques de la société sans aucune référence ou mention aux difficultés économiques du secteur d’activité du groupe composé de plusieurs sociétés, manquant en cela à son obligation de motivation.

La Cour d’appel l’avait, de façon assez classique, suivi dans son raisonnement.

Tel n’est pourtant pas la position de la Cour de cassation, qui paraît dorénavant se contenter de l’énonciation de la cause économique, sans que son périmètre d’appréciation soit indiqué dans la lettre de rupture.

La Haute juridiction considère à cet égard que l’appréciation de l’existence du motif invoqué relève de la discussion devant le juge en cas de litige.

L’employeur pourra ainsi se contenter de mentionner dans la lettre de licenciement les difficultés économiques et/ou la réorganisation de l’entreprise, sans se référer à la situation du secteur d’activité du groupe auquel elle appartient.

Cette indulgence laisse dubitatif alors que dernièrement encore, la Cour de cassation jugeait que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsque l’employeur ne produisait aucun élément sur la situation du secteur d’activité auquel l’entreprise appartient, et n’établissait pas l’existence d’une menace pesant sur sa compétitivité (Cass. Soc. 9 juill. 2015 n° 14-16009).

La mention de la seule entreprise, alors que l’employeur a connaissance de son appartenance à un groupe, peut en outre révéler une volonté de dissimulation de sa part, et plus encore si le salarié ignore que la société qui l’emploie appartient à un groupe.

Reste que la Cour de cassation précise qu’il reviendra aux Juges du fond de vérifier le caractère réel et sérieux du motif économique tel qu’invoqué dans la lettre de licenciement au regard du périmètre pertinent pour son appréciation.

La mention de la priorité de réembauchage

Pour être complet, il convient également de relever que la lettre de licenciement pour motif économique doit mentionner la priorité de réembauchage dont bénéficie le salarié.

Le salarié licencié pour motif économique se voit en effet accorder une priorité de réembauche durant un délai d’un an à compter de la date de rupture de son contrat de travail, s’il en fait la demande au cours de ce même délai (article L 1233-45 du Code du travail).

La priorité de réembauchage s’applique exclusivement à l’entreprise qui a procédé au licenciement, et non au groupe auquel elle appartient (Cass. soc. 5 mars 2014 n° 12-28754).

Si le salarié a fait valoir sa priorité de réembauchage, l’employeur doit l’informer de tout emploi devenu disponible et compatible avec sa qualification.

Toutefois, l’absence de mention de la priorité de réembauchage dans la lettre de licenciement n’invalide pas le licenciement, elle permet au salarié d’obtenir une indemnisation en fonction du préjudice qu’il a subi.