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L’externalisation par l’entreprise d’une de ses activités constitue-t-elle un motif de licenciement ?

Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Le contexte

Le monde des affaires répond à des exigences qui s’accordent difficilement avec celles du droit du travail.

Dans les groupes de dimension internationale, les choix de gestion des dirigeants sont davantage guidés par la rentabilité des entreprises du groupe que par la protection de l’emploi des salariés, qui est reléguée au second plan (quand ce n’est pas au dernier) de leurs préoccupations.

Le sort des filiales qui connaissent des difficultés économiques ne tient alors qu’à un fil, très ténu.

Le droit du travail repose pour sa part sur une conception relativement protectrice des salariés, la plupart des situations affectant le contrat de travail étant encadrée par des règles juridiques précises.

C’est en particulier le cas lorsque l’employeur envisage de prendre une décision de modification ou de rupture du contrat de travail.

Les licenciements pour motif économique notamment l’obligent à une obligation préalable de reclassement, ainsi, selon le nombre de salariés concernés, qu’à la mise en œuvre d’un plan, etc…

Deux visions s’opposent : les employeurs pestent contre l’imposition de normes et l’entrave à leur liberté d’entreprendre, là où les salariés, et leurs représentants, réclament légitimement des garanties pour leurs emplois.

Délocalisation et nécessité d’un motif économique de licenciement

L’employeur qui décide de fermer sa filiale française et délocaliser son activité dans un pays qu’il estime plus profitable doit respecter les règles édictées par le Code du travail.

La fermeture d’une entreprise ne se fait pas sans l’exigence d’une cause économique de licenciement, et la rentabilité ne figure pas parmi les causes admissibles, ainsi que la Cour de cassation l’avait jugé à propos de l’affairL'externalisation de certaines fonctions peut-elle justifier un licenciement ?e Dunlop (Cass. Soc. 1er fév. 2011 n° 10-30045).

En l’état, celles-ci sont limitativement énumérées par le Code du travail (article L 1233-3) à quatre causes :

  • Des difficultés économiques
  • Des mutations technologiques
  • Une réorganisation de l’entreprise, pour autant qu’elle soit nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité
  • Une cessation de l’activité de l’entreprise

Cette dernière condition a été ajoutée par la loi en 2017, l’affaire Continental, qui avait connu son épilogue un an avant ayant laissé une certaine trace d’amertume chez les employeurs.

Le souvenir de l’affaire Continental

On se souvient de cette affaire, où la société Continental, filiale d’un groupe allemand fabricant de pneus, avait fermé le site de l’entreprise en France où 680 salariés étaient employés.

Son activité étant transférée dans un autre pays où la main d’œuvre était meilleur marché.

Les salariés sont licenciés pour motif économique, ce qu’ils contestent.

Au terme d’une bataille judiciaire de plusieurs années, ils avaient obtenu satisfaction.

La Cour de cassation avait confirmé l’arrêt de la Cour d’appel d’Amiens, en jugeant que « la mesure de réorganisation constituée par la fermeture de l’établissement de Clairoix et la suppression de l’ensemble des emplois ne répondait qu’à un souci de rentabilité du secteur pneumatique du groupe » (Cass. Soc. 6 juill. 2016 n° 14-27357).

La rentabilité de l’entreprise ne saurait constituer une cause économique de licenciement, de sorte que les congédiements des salariés étaient injustifiés.

Mais qu’en est-il lorsqu’il s’agit de la délocalisation, non pas de l’entreprise dans son intégralité, mais uniquement d’un service ?

L’externalisation de certaines fonctions d’une entreprise justifie-t-elle des licenciements ?

Une entreprise connaissant des difficultés économiques (Symantec France) décide d’externaliser une partie de ses activités commerciales vers l’Afrique.

Un salarié exerçant des fonctions d’ingénieur support technique, qui était en charge des pays africains vers lesquels l’activité est délocalisée, voit son poste impacté par cette décision, puisqu’il est supprimé.

L’employeur lui propose alors de travailler en qualité d’Ingénieur avant-vente spécialiste pour le compte de la société qui reprend ces activités externalisées, ayant son siège au moyen orient.

Cette solution, qui préserverait son emploi, nécessite donc une modification du contrat de travail de l’intéressé et son transfert vers cette nouvelle entreprise.

Le salarié décline l’offre de cette société, qui lui avait proposé un poste équivalent à celui qu’il occupait.

Il invoque devant son employeur, pour justifier son refus, l’absence de régularisation de sa situation concernant des demandes de rappels de salaire qu’il avait faites.

Il est alors licencié pour cause réelle et sérieuse, l’employeur lui reprochant un manque d’implication à l’égard de l’entreprise ainsi que son refus des propositions de reclassement qu’il avait reçues (au nombre de trois).

Le salarié conteste son licenciement ; il est débouté en appel, la Cour d’appel considérant que l’employeur avait respecté ses obligations (Cour d’appel de Versailles, 15ème Chambre n° 20/00656, 29 septembre 2022).

Cet avis n’est pas partagé par la Cour de cassation, qui censure cette appréciation.

Faute d’invoquer un motif économique de licenciement, le licenciement est injustifié

La Haute juridiction rappelle en effet que l’employeur ne pouvait licencier le salarié pour motif personnel, alors qu’il aurait dû invoquer dans la lettre de licenciement un motif économique, ce qu’il n’a pas fait dès lors que les conditions en étaient réunies.

Elle énonce à cet égard (Cass. Soc. 22 janv. 2025 n° 22-23468) :

Le seul refus par un salarié d’une modification de son contrat de travail ne constitue pas une cause réelle et sérieuse de licenciement et, d’autre part, que la rupture résultant du refus par le salarié d’une modification de son contrat de travail, proposée par l’employeur pour un motif non inhérent à sa personne, constitue un licenciement pour motif économique.

Or, l’employeur n’avait jamais invoqué de motif économique au soutien du licenciement, de sorte que celui-ci est injustifié.