Franc Muller – Avocat licenciement, Paris
Le contexte
Une position hiérarchique élevée dans l’entreprise confère incontestablement un sentiment de pouvoir à celui qui l’occupe.
Évoluant dans les sommets, le salarié tout auréolé de sa fonction de direction peut estimer que tout lui est permis… et il n’a souvent pas tort.
Ce sentiment d’omnipotence est assez rarement contrarié, quand bien même l’intéressé outrepasserait ses fonctions et ses pouvoirs.
Les craintes de froisser un hiérarque de l’entreprise suffisent en effet habituellement pour que le Directeur des Ressources Humaines regarde ailleurs.
Les limites à cette immunité de fait sont malheureusement trop rares.
C’est là où la décision qui a été rendue par la Cour de cassation prend tout son intérêt.
Les faits
En l’espèce, un salarié membre du comité de direction d’une entreprise, qui semble avoir abusé de ses pouvoirs et ignoré ses obligations légales, a subi un rude camouflet se traduisant par un licenciement pour faute grave.
L’intéressé, qui avait une grande ancienneté (32 ans) et exerçait les fonctions de « directeur des partenariats et des relations institutionnelles », avait noué une relation amoureuse avec une salariée de l’entreprise.
La salariée avait décidé d’y mettre un terme et lui avait signifié qu’elle souhaitait en rester à une relation strictement professionnelle, ce qu’il a apparemment eu du mal à accepter.
Il avait inondé son téléphone et sa messagerie professionnelle de messages, se prévalant notamment de sa qualité de membre du comité directeur.
En réaction, la salariée semblait très éprouvée par son comportement qu’elle avait signalé à l’employeur, également interpellé par le médecin du travail qui avait attiré son attention sur sa situation de mal être à la suite de ces agissements.
Le salarié, est finalement licencié pour faute grave.
Il conteste le bienfondé de son licenciement.
Fait de la vie personnelle ou manquement découlant du contrat de travail ?
La question qui se posait au Juge consistait à déterminer si le comportement litigieux ayant causé le licenciement du salarié relevait, ou non, de sa vie personnelle, ainsi qu’il le soutenait.
La Cour d’appel valide son licenciement pour faute grave.
Elle relève que la messagerie professionnelle de la salariée était encombrée de messages se faisant de plus en plus insistants et sur lesquels le salarié éconduit se référait à sa qualité de membre du comité directeur.
Elle retient en outre, à travers divers témoignages, que du fait de la pression qu’elle subissait, la salariée était dans une situation de souffrance.
Cette solution est approuvée par la Cour de cassation.
Celle-ci rappelle tout d’abord, selon une jurisprudence désormais bien établie, qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas en principe justifier un licenciement disciplinaire à moins qu’il constitue un manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat de travail.
Elle met également en exergue le fait que le Code du travail exige de tout salarié qu’il prenne soin de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles de ses collègues et autres personnes se trouvant en sa présence sur son lieu de travail, et ce, en fonction de sa formation et de ses possibilités (article L 4122-1 du Code du travail).
Elle en conclut (Cass. soc. 26 mars 2025 n° 23-17544) :
Le comportement, sur le lieu et le temps du travail, du salarié dans une position hiérarchique élevée, dans le but d’obtenir une explication en raison d’un possible dépit amoureux ou aux fins d’entretenir une relation malgré le refus clairement opposé par une collaboratrice, peu important qu’elle ne soit pas sous sa subordination directe, constituait un manquement à ses obligations découlant du contrat de travail, incompatible avec ses responsabilités et qu’une telle attitude, de nature à porter atteinte à la santé psychique d’une autre salariée, rendait impossible son maintien au sein de l’entreprise.
Elle considère dès lors que le licenciement pour faute grave était justifié.
Que retenir ?
Le comportement du salarié, qui abusait de sa position hiérarchique et méconnaissait l’obligation de sécurité à laquelle il est tenu, est sanctionné.
Peu de décisions ont statué sur l’abus d’autorité d’un salarié et ses conséquences sur la santé de celui, ou ceux, qui en sont victimes.
On citera le cas d’un salarié, directeur de magasin licencié également pour faute grave, auquel il était reproché d’avoir « usé et abusé de sa position dominante vis à vis de ses collaborateurs directs au mépris du respect dû à autrui, cet abus d’autorité ayant mis en danger tant la santé physique que mentale des salariés, en contravention avec l’article L 4121-1 du code du travail » (Cour d’appel de Toulouse, 26 juin 2015 n° 13/02157).
Concernant le « management toxique », il y a également lieu de faire état d’un arrêt de la Cour de cassation légitimant aussi le licenciement pour faute grave d’une salariée, directrice d’un EPHAD, dont
La pratique d’un mode de gestion inapproprié de nature à impressionner et nuire à la santé de ses subordonnés était de nature à caractériser un comportement qui rendait impossible son maintien dans l’entreprise (Cass. Soc. 14 fév. 2024 n° 22-14385).
L’obligation de sécurité, obligeant l’employeur à prendre soin de la santé et de la sécurité des salariés, s’impose à tous et peut-être avec une acuité particulière aux salariés occupant des postes comportant du management, pour lesquels une certaine exemplarité est attendue.