Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris
Un formalisme encadré avant une « présomption de démission » pour abandon de poste
Le licenciement d’un salarié pour abandon de poste est, on le sait, depuis une loi inique du 21 décembre 2022, présumé être une démission.
Il en résulte qu’à compter du 19 avril 2023, et l’entrée en vigueur du décret d’application, les salariés que l’employeur considèrent démissionnaires, après un abandon de poste, sont privés du bénéfice de l’allocation chômage.
La procédure est néanmoins subordonnée à l’accomplissement d’une exigence prévue par le Code du travail.
« L’employeur qui constate que le salarié a abandonné son poste et entend faire valoir la présomption de démission le met en demeure, par lettre recommandée ou par lettre remise en main-propre contre décharge, de justifier son absence et de reprendre son poste » (article R 1237-13 du Code du travail).
L’intéressé qui reçoit cette lettre de mise en demeure dispose alors d’un délai de 15 jours pour y répondre, à l’issue duquel, faute d’avoir apporté une réponse convaincante à l’employeur, il sera présumé démissionnaire…
Il est donc important que le salarié ne laisse pas cette mise en demeure sans réponse, et s‘il est en mal d’imagination, qu’il se rapproche d’un avocat pour l’aider à le faire.
Les statistiques sur l’abandon de poste
La réforme législative instaurant la privation des allocations chômage pour les salariés ayant abandonné leur poste, inspirée par un souci d’économie, a été savamment pensée, statistiques à l’appui.
On dispose à cet égard d’une référence officielle sur le sujet, qui est une étude de la Direction des études et des statistiques, rattachée au ministère du travail et de l’emploi (DARES), datant de février 2023, et analysant des données au premier semestre 2022.
D’après cette étude, environ 70 % des licenciements pour faute grave ou lourde dans le secteur privé étaient motivés par un abandon de poste.
Cela représentait 123 000 salariés.
Si ce chiffre peut sembler important, il doit toutefois être relativisé par le fait qu’il recouvre une grande diversité de situations.
Évidemment, le discours dominant pour justifier cette mesure présente des salariés abandonnant leur poste par confort, lassés de leur emploi ou tout simplement de travailler, et désireux de profiter « d’un système » leur accordant le bénéfice de l’allocation chômage,
Cette affirmation simpliste masque une réalité qui est toute autre et fait fi de la responsabilité de l’employeur.
L’abandon de poste par un salarié est souvent la conséquence d’un manquement de l’employeur à ses obligations.
Le refus par un salarié de reprendre le travail légitimé par un manquement de l’employeur à ses obligations
La jurisprudence fournit de nombreuses illustrations de situations dans lesquelles le salarié n’a pas repris son emploi après que l’employeur ait été lui-même défaillant à ses obligations.
Dans le cadre d’un licenciement pour faute grave (antérieurement à la réforme de décembre 2022), contesté par le salarié, la juridiction prud’homale est appelée à trancher le litige.
C’est ainsi que la chambre sociale de la Cour de cassation a rendu en 2009 une décision de principe, dans laquelle elle énonce (Cass. Soc. 23 juin 2009 n° 07-44844) :
Le refus par un salarié de reprendre le travail peut être légitimé par un manquement de l’employeur à ses obligations.
Il s’agissait en l’espèce d’un salarié, chauffeur routier, ayant refusé de reprendre le travail tant qu’il ne serait pas payé des salaires correspondant à une mise à pied qu’il contestait, et qui a été jugée injustifiée.
Faute d’avoir repris son activité, il avait été licencié pour faute grave, l’employeur lui reprochant son abandon de poste.
Dans une récente affaire, c’est un salarié qui avait été déclassé qui s’était abstenu en réaction de reprendre son poste.
Rétrogradation d’un salarié, refus de reprendre son poste et licenciement pour abandon de poste
Le salarié, qui occupait contractuellement un emploi de chef de poste/sécurité s’était plaint auprès de son employeur d’être affecté sur des postes relevant d’un niveau inférieur à sa qualification.
Il lui demandait donc de respecter sa classification contractuelle, à défaut il serait dans l’obligation de refuser tout poste qui ne serait pas en adéquation avec celle-ci.
L’employeur n’ayant pas répondu à cette exigence, le salarié en avait tiré les conséquences qu’il avait évoquées.
Après avoir mis l’intéressé en demeure de reprendre son affectation, il l’avait mis à pied à titre conservatoire, puis licencié pour faute grave.
La Chambre sociale de la Cour de cassation donne raison au salarié.
Elle juge ainsi (Cass. Soc. 14 nov. 2024, n° 23-16258) :
D’une part, le refus par un salarié de reprendre le travail peut être légitimé par un manquement de l’employeur à ses obligations, d’autre part, il appartient à l’employeur de fournir un travail au salarié qui se tient à sa disposition et de payer la rémunération.
L’employeur n’avait pas rempli son obligation de fournir le travail convenu, conforme à la qualification contractuelle du salarié, de sorte que celui-ci était fondé à en tirer les conséquences en ne reprenant pas le poste qui lui était attribué de manière illicite.
Son abandon de poste était légitime.
Une nouvelle procédure accélérée devant le Conseil de prud’hommes en cas de litige
Le salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail le présumant démissionnaire après qu’il a refusé de reprendre son poste dispose, maigre consolation, d’une procédure accélérée devant le Conseil de Prud’hommes.
L’article L 1237-1-1 du Code du travail prévoit en effet que l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, évitant ainsi le préliminaire, inutile, de conciliation.
Selon ce texte, le Conseil statue alors au fond « dans un délai d’un mois à compter de sa saisine ».
Il est à craindre, connaissant les délais habituels devant les juridictions prud’homales de la région parisienne et les incidents de procédure, qu’un tel délai procède surtout de l’incantation…